J'étais dans le sud catalan ce weekend, là où la terre survit à fleur d'étang et à fleur de mer, longues langues de sable s'étirant sous un soleil de plomb fondu. Midi : un restaurant de plage avec des amis. Vous savez, ce type d'établissement faussement crusoéen, où le bois flotté le dispute aux grandes toiles de l'armée américaine, là-même où vous vous dites que la sardine vous sera facturée au prix du marlin (à l'unité j'entends...)
Eh bien non. Accueil charmant, table en bord d'eau, larges banquettes confortables, et quelques spécialités tout à fait honorables pour un prix maîtrisé. Avec, en plus, le sourire de jeunes serveurs plutôt heureux. De la musique aussi, mais raisonnable, comme on aime, suffisamment douce et subtile pour exister sans être... Et le temps qu'on vous donne de rester autant que vous le souhaitez, alanguis, comme le sable...
La veille, nous étions allés au Chateau de Jau. Là encore, un accueil déterminé et joyeux, une table excellente délicieusement posée au coucher du soleil, de très bons crus locaux servis avec les commentaires qui vont bien par une personnalité forte, drôle, amusée d'être à son âge (à peine plus mais un peu moins) la chef respectée des armées de salle locales. Une "cuenta" tout à fait légitime et accessible, pour un lieu dont la minéralité ne se limite pas au vin. Et la bise de l'hôtesse en partant, naturellement...
Le lendemain, nous irions à Collioure, chez Paco, un restaurant tapas niché et chiné dans une étroite ruelle enfin ombragée. "Pour le moment, c'est plein mais ne vous inquiétez pas : dès qu'une table se libère, je vous appelle sur votre mobile". Il le fait en effet. Excellent moment avec de vraies spécialités comme les anchois de la région, les coeurs de canard, un tartare de Saint-Jacques rehaussé de guacamole... Et là encore, comme l'avant-veille et la veille, les sourires tout simplement aimables du patron et de la serveuse, et le sentiment, une fois encore, d'avoir été là au bon moment pour passer... un bon moment.
Pourquoi vous raconter tout ceci. Parce que j'ai l'impression que les temps changent un peu sur ces territoires de non-respect qu'étaient devenus les petits et grands lieux touristiques. Certes, il existe encore pas mal de margoulins qui inscriront à leur menu des propositions sémantiques trahissant déjà l'inadmissible promesse d'un plat innommable - en effet - mais je le constate presque quotidiennement : la restauration, en France, se simplifie et s'améliore, avec de bonnes surprises qui émergent à l'initiative d'entreteneurs créatifs heureux d'avoir choisi ce métier et ne souhaitent pas seulement faire dorer les euros. Avec, comme ici chez les Catalans, un sourire en plus, ce qui est parfois nouveau, notamment à Paris.
En fait, la restauration pourrait être le baromètre de nos époques. Je l'ai constaté un peu partout dans le monde : quand la simplicité, le sourire et le respect sont là, c'est qu'une civilisation est dans l'accueil des autres et donc l'intelligence d'elle-même... Souhaitons-le de tout coeur pour la Catalogne.
Yves Ollivro